• 6 août 1914 (1 novembre 2010)

    Souvenir Français

    Méchant Cavaignac, gentil Lévy

     

    La Lorraine et l'Alsace, à cette heure, sont enveloppées des plus effroyables ténèbres. Elles sont bâillonnées et ensanglantées, traitées comme deux pays conquis une nouvelle fois. Voilà ce que l'on sait. On entend la fusillade dont les Allemands poursuivent les meilleurs de là-bas ; mais, jusqu'à cette heure, on ignore les noms de ces héros sans armes assassinés. Je salue le maire de Saales, qu'ils viennent de passer par les armes ; je ne suis même pas, à cette heure, en mesure d'écrire son nom, et j'ignore dans quelles conditions exactes vient d'être égorgé notre glorieux frère, le martyr de Metz, Alexis Samain.

    J'ignore, et pourtant je vous parle de lui. Hier, je lui promettais, au nom des patriotes, un monument dans Metz reconquise. Aujourd'hui, Le Temps veut lui donner une rue de Paris. Maintenons pieusement sur lui notre regard. Il tombe comme un soldat de la civilisation éternelle, devant les brutes incorrigibles que l'univers va pourtant corriger.

    Alexis Samain appartenait à une excellente famille bourgeoise ; son père était Messin, sa mère de Puttelange. Il avait fait ses études à Metz puis à Nancy. Nous étions deux labadens. Mais lui, tout jeune. C'était un garçon de 29 à 30 ans, de taille moyenne, très énergique, nullement démonstratif d'ailleurs, une nature ardente et fermée, un vrai Lorrain. Il agissait d'une manière extraordinaire sur les jeunes gens de la Société qu'il présidait, La Lorraine Sportive. Sous son influence exemplaire, on méprisait, comme elle mérite de l'être, l'infériorité de la brute allemande.

    Celle-ci vient de se venger. Bien souvent, les uns et les autres, nous avions conseillé à Samain de quitter Metz (où il dirigeait un important commerce de cigares). Il s'y refusait par dévouement à ses jeunes gens et pour demeurer auprès de sa vieille mère malade, qui vient dernièrement de mourir. Avec quelle joie, les Prussiens se sont jetés sur ce noble jeune homme, je le comprends ! car je sais jusqu'à quel point ils sont privés d'esprit chevaleresque, Mais quel prétexte peuvent-ils bien avoir trouvé ?

    Nous interrogeons vainement l'horizon de Lorraine. Tout se tait.

    Pourtant deux patriotes messins ont réussi, cette semaine, à franchir la frontières, deux amis de Samain : Jean, le courageux président du Souvenir Français, celui qui veillait au culte exaltant des morts en Lorraine, et le chanoine Collin, le directeur du journal Le Lorrain, celui qui, jusqu'au bout, a propagé et magnifié les thèses françaises.

    Honneur à ces deux hommes-drapeaux !

    J'ai causé longuement aujourd'hui avec l'un d'eux. Je l'ai avidement interrogé sur chacun des nobles mainteneurs de la cause française aux pays captifs. (...) N'empêche que, dans la nuit du lundi 24 au 25, le câble électrique (ou téléphonique, je ne sais) qui relie tous les forts de Metz fut coupé. Par qui ?

    Les Prussiens ont imaginé une grande manifestation théâtrale de brutalité, afin de jeter la terreur dans tout le pays. le mardi 25 et le mercredi 26, durant deux jours et une nuit, ils aiguisèrent bruyamment leurs sabres et leurs baïonnettes. Ils exigeaient que toute la ville les vît et les entendît. Plusieurs groupes de soldats furent même envoyés, aux quatre coins de Metz, poursuivre la même opération chez des maréchaux. Que dites-vous de cette fête de l'aiguisage ou de l'affutage des outils de guerre ! Sommes-nous assez style Attila !

    C'était insuffisant. Cette manière n'était pas suffisamment kolossale. Il fallait au milieu de cette orgie le sang d'un homme désarmé.

    - Mais, disais-je  à mon interlocuteur, comment ont-ils trouvé le moyen légal d'assassiner Samain ?

    - J'imagine, m'a-t-il dit, qu'il y a eu une superposition savamment organisée des deux codes, civil et militaire. La justice civile avait constitué un dossier lentement, en temps de paix ; elle l'a transmis, dès l'état de guerre proclamé aux juges militaires. Ceux-ci, en feuilletant ce dossier, ont vu des faits dits de haute trahison. Samain était sous-officier. On entrait en temps de guerre. Ah ! ah ! ont-ils dit joyeusement, nous le tenons. C'était la mort immédiate.

    Je ne conteste pas l'esprit de méthode des Allemands. Mais je dis que leurs fameuses méthodes, trop vantées, continuellement, dans tous les ordres, sont infécondes. Ils viennent d'appliquer sans broncher le système, auquel ils proclament s'être arrêtés, de briser les os de chacun des Français qu'ils rencontreront. Mais je prie que l'on me dise où est, à leur point de vue, l'utilité de cette méthode, et s'ils croient avoir trouvé le sûr moyen de se faire aider contre la France par les gens de Metz !

    Le patriote messin avec qui je causais ce matin d'Alexis Samain, m'a dit comme conclusion, les yeux pleins de larmes d'amitié pour le jeune héros :

    - Si nous redevenons Français, tout cela n'est rien.

    Français, ils l'ont toujours été. Leur pays va redevenir la terre de France, la plus belle terre de France, arrosée par un tel sang irréprochable. Et, comme cadeau de retour, après cette longue absence, voici qu'ils nous apportent la figure exemplaire d'Alexis Samain, pour qu'il devienne un des patrons de la jeunesse française.

    Maurice Barrès, l'Union sacrée

    Le Souvenir Français en Lorraine annexée (1907 - 1914)

    Alors, une rue Alexis Samain à Metz ?

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