• Le pays messin (14 septembre 2011)

    Colette Baudoche

    Porte Serpenoise

     

    La Lorraine, Gabriel Henriot, 1923

    Depuis Pagny-sur-Moselle, la Moselle passe à l'est de Gorze, dont les eaux alimentent la ville de Metz, depuis l'époque romaine. Dans son creux verdoyant, que domine une côte vignoble, Gorze a gardé son église romane et le palais de sa célèbre abbaye.

    Les bords de la rivière sont garnis, sur la rive gauche, de coteaux qui donnent un vin réputé ; là, se trouvent les villages de Dornot et d'Ancy ; sur la rive droite, Jouy-aux-Arches conserve, et c'est de là que vient son nom, quelques arcades de l'aqueduc romain qui amenait à Metz les eaux de Gorze et qui franchissait la Moselle à cet endroit.

    Les paysages des bords de la Moselle seraient paisibles, si l'on ne voyait pas s'y succéder les forts, accumulés par les Allemands pour la défense de Metz, immense appareil stratégique qui rendait plus intelligible pour les esprits avertis "la précaire sécurité des peuples et leur surcharge financière", et qui cependant n'a pu retarder la défaite des Allemands complètement épuisés.

    Près de Jouy, se dresse l'ancien fort Comte-Haeseler dont la lourde masse domine la plaine, entre la Moselle et la Seille.

    La petite ville d'Ars travaille dans ses manufactures et ses aciéries, tandis qu'en aval s'étagent les vignobles de la banlieue messine, le château de Frescati, l'ancien fort Prince-Auguste-de-Wurtemberg, et que Metz apparaît dominée par la masse élevée et puissante de sa cathédrale.

    Le pays messin (14 septembre 2011)

    A l'ouest de Gorze et d'Ars, s'étendent les champs de bataille, parsemés de monuments, où se brisa en 1870 la résistance de la garnison de Metz ; c'est Rezonville et Mars-la-Tour sur la route de Metz à Verdun. Rezonville, où eut lieu la fameuse Chevauchée de la mort, conduite par le général de Bredow et dont l'élan fut brisé par le feu des lignes françaises et la charge de notre cavalerie (16 et 18 août 1870) ; Mars-la-Tour, où la division de Cissey écrasa la brigade Wedell et où eut lieu un formidable choc des deux cavaleries (16 août).

    En arrière, à la jonction de la route venue d'Etain, c'est Gravelotte ; les tombes, semées dans la campagne, rappellent les morts des journées du 16 au 18 août, journées héroïques, mais sans résultat, pendant lesquelles d'autres combats avaient lieu au nord, à Saint-Privat, vers la route de Metz à Briey ; Saint-Privat, surnommé par le roi de Prusse le tombeau de la Garde, vit l'héroïque résistance de Canrobert, victorieux si Bazaine était venu à son secours ! 20.000 Allemands et 12.000 Français étaient hors de combat, mais l'armée française et Metz étaient perdues.

    Metz est au centre de ces routes et d'une dizaine d'autres, qui rayonnent dans le pays messin.

    Des lignes de chemin de fer, venues de Nancy, de Verdun, de Thionville et des villes de la Sarre, rencontrent, avant de pénétrer dans son immense gare, la ligne de ceinture, qui a une importance stratégique. A peine est-on descendu du train qu'on entre dans une ville toute neuve, bâtie dans le goût moderne allemand et qui s'élève à l'emplacement des remparts. Au lieu des fossés remplis d'eau dormante et des ponts-levis, s'alignent des boulevards neufs, aux maisons bien alignées, construites dans le déplorable style "néo-schwob".

    La porte Serpenoise est debout, isolée et dépaysée, transformée en une sorte d'arc de triomphe, coiffé d'un chapeau vert.

    Le pays messin (14 septembre 2011)

    Des vieilles fortifications une seule partie a survécu : "c'est, depuis la fausse braye et le château de la porte des Allemands jusqu'à la Moselle, une épaisse muraille bosselée par les tours, où chaque corporation faisait le guet, la tour des potiers d'étain, la tour des maréchaux, la tour des barbiers, et la vieille Tour des Esprits, mystérieusement cachée dans les arbres. La Seille silencieuse glisse dans l'herbe au pied du mur. Par-dessus la courtine, comme dans les vieilles estampes, on aperçoit les dentelles du toit de la cathédrale et les clochers de Saint-Eucaire, de Saint-Maximin qui lèvent modestement leur bonnet. C'est un coin retiré et tranquille, animé par l'eau courante, la verdure, les feuilles fraîches. Un pêcheur devant une bouche à feu jette paisiblement sa ligne. Sur les pierres du soubassement, prises dans les joncs, se lisent de vieux millésimes et des noms de maîtres échevin." (Georges Ducrocq, La blessure mal fermée, p.18).

    A l'intérieur de la ville neuve et des spacieux boulevards, qui remplacent les fortifications abattues, il est resté de vieux quartiers, aux maisons sévères et froides, sans luxe et sans vains ornements, mais qui attirent le Français plus que les palaces modernes ; c'est là qu'on retrouve le Metz d'avant 1870, la ville martiale, qui fut le rempart de la France contre les Impériaux et qui garde tant de souvenirs glorieux, dans ses rues étroites, montantes et ténébreuses.

    Depuis six siècles, sa cathédrale dresse sa haute nef, aux grandes baies gothiques, surmontant une élégante galerie. Là repose Mgr Dupont des Loges, qui vit la conquête douloureuse, et qui incarna, de 1871 à 1885, la résistance au vainqueur. Les magnifiques verrières du XVIe, oeuvre de Valentin Busch, laissent tomber sur les dalles tout un poudroiement de gemmes multicolores.

    Le pays messin (14 septembre 2011)

    Comme la Sainte-Chapelle de Paris, la cathédrale de Metz, toute en vitraux, a l'air d'une châsse ; mais d'une châsse immense, longue de 120 mètres, large de 22 et haute de 43. La devise des Montmorency "Espérance", écrite en haut de la grande nef, acquiert une signification nouvelle pour celui qui a traversé la ville moderne aux boutiques allemandes : il y a dans la cathédrale, un souvenir de la mère patrie qui n'aurait pu disparaître qu'avec la chute des pierres. La voix grave de dame Mute, le bourdon, qui gronde dans la principale tour, ou la voix argentine de la Marie Turmel sonnant le couvre-feu, sont aussi des voix bien françaises ; la dernière, venue à Metz en 1816, avait d'abord sonné la prière dans l'hospice de Sainte-Catherine, à Verdun ; quant à la Mute, elle a sonné à toute volée, le jour où le président de la République et Georges Clémenceau ont fait leur entrée solennelle dans la ville (8 décembre 1918).

    La cathédrale veille, colosse puissant et fier, sur tout un dédale de rues, noyau de l'antique cité. La Seille formait là un canal fangeux, la rue des Tanneurs, entre de hautes maisons couronnées de pignons en dents de scie, avec leurs perches supportant les peaux que les tanneurs y mettaient à sécher. L'hygiène a amené la transformation de ce coin pittoresque et malsain. Mais les amateurs du passé en ont gémi et M. Ducrocq, qui a consacré à Metz des pages d'une grande sensibilité, s'est fait leur porte parole éloquent : "par ses canaux qui traversaient ses quartiers marchands, Metz rappelait les villes du nord de la France et de la Belgique, si mystérieuses le soir quand les ténèbres brunissent l'eau et que le jour n'est plus qu'un fil d'or, tranchant sur le sommet des toitures vertigineuses.

    La vieille industrie municipale, installée au bord de la rivière depuis plus de mille ans, l'honnête réputation des maîtres tanneurs messins fidèles à leurs usages, à leurs cérémonies corporatives, à la messe annuelle et au banquet par lequel ils célébraient la fête de Saint-Simon, leur patron, les chaudes et confortables maisons de ces bons bourgeois, modèles de labeur et de probité, et même cette odeur étrange de bois de campêche et de mégisserie qui flottait sur l'eau sale, contribuaient à donner à cette paroisse une poésie douce et sombre". (Ibid., p. 41).

    D'autres quartiers évoquent encore l'antique cité messine : le quartier Saint-Louis, avec les maisons à arcades sur sa place et dans la rue du Change, habitée jadis par des usuriers, banquiers lombards qu'ont remplacés de nos jours d'autres émigrants italiens, terrassiers, maçons et ouvriers des mines.

    Metz, ville hérissée de clochers dès le haut moyen-âge, a gardé de vieilles églises, comme Saint-Martin ou Sainte-Ségolène ; son évêché, dont la chapelle est une oeuvre remarquable du dix-huitième siècle ; sa "maison-dieu" ; l'hôpital Saint-Nicolas, orné d'un beau portail gothique ; de vieux hôtels, comme l'hôtel Saint-Livier, abimé par les architectes allemands qui prétendaient le restaurer.

    Le pays messin (14 septembre 2011)

    Entre la cathédrale et l'Esplanade ainsi que dans l'île, une ville aristocratique a été créée, de toutes pièces au dix-huitième siècle, par le maréchal de Belle-Isle. L'Esplanade est la promenade favorite des Messins, car elle leur ouvre une perspective pleine de charme, sur la vallée.

    "De ce balcon incomparable, l'oeil domine le cours onduleux de la Moselle à travers les prairies de l'île Saint-Symphorien, entre les harmonieux bouquets de peupliers et de saules penchés sur la rivière. Au delà, se dressent les côtes chargées de vignes, Sainte-Ruffine, Sey, Jussy, Lessy, crus légers où le peuple messin puise une part de sa belle humeur. Plus loin se lève le mont Saint-Quentin avec le fort qui le couronne , superbe montagne, vrai bastion guerrier dont la vue redresse les coeurs. A l'horizon, dans ces vapeurs d'opale qui tremblent éternellement sur la vallée de la Moselle, les bois d'Ars, d'Ancy, de Corny et de Novéant montrent leurs crêtes sévères. Des clochers brillent. La brise apporte des sons d'airain, des senteurs de foin coupé et la fraîcheur de la rivière qui vient de France..." (Ibid., p. 20).

    Qu'importe, après cela, la lourdeur et l'énormité de la ville neuve, bien marquée de l'empreinte germanique ; seuls, les anciens quartiers peuvent rappeler Metz, cette "esclave,-dit Maurice Barrès- qui garde les traits et l'allure que ses amis et ses fils aimaient chez la femme libre" ; là seulement, on rencontre de vrais Messins ; "ces excellentes gens, qui ont toute la finesse des vieilles villes, s'appliquent encore à plus de courtoisie et d'urbanité, par réprobation de cette lourdeur teutonne qui, par une sensibilité française, sera toujours goujaterie" (L'Appel au Soldat).

    Le pays messin (14 septembre 2011)

    Quelle joie pour ces bons Français espionnés, dénoncés et inquiétés pendant un demi-siècle, que d'avoir vu disparaître, en un jour de joie, les témoignages de leur esclavage, ces statues insolentes du prince Rouge, de l'Empereur Frédéric III et surtout celle du vieux reître Guillaume Ier, montrant du doigt la Moselle et les hauteurs voisines, couronnées par des forts ; d'avoir, par contre, gardé le souvenir des glorieux Français dont les statues ont été respectées : Ney, le brave des braves, debout sur la place Royale, et Fabert, dont le monument porte l'inscription suivante, que Bazaine a pu lire au moment de sa trahison : "Si, pour empêcher qu'une place que le roi m'a confiée ne tombât au pouvoir de l'ennemi, il fallait mettre à la brèche ma personne, ma famille et tout mon bien, je ne balancerais pas un instant à le faire."

    Bazaine ! comment n'y penserait-on pas, dans ce cimetière de Chambière, où dorment, près du champ de tir de l'infanterie, au bruit des salves, les soldats morts dans les ambulances de Metz, pendant le siège : sept mille victimes, dont le sacrifice avait été inutile, sont dominées par une haute pyramide, portant cette inscription terrible empruntée aux Macchabées :

    "Malheur à moi ! fallait-il naître pour voir la ruine de mon peuple, la ruine de la cité et pour demeurer au milieu, pendant qu'elle est livrée aux mains de l'ennemi ! Malheur à moi !"

    Oui, Metz a été livrée aux mains de l'ennemi, qui n'a reculé devant aucun sacrifice pour la garder, qui l'a écrasée sous l'amoncellement des forteresses et qui a réuni, dans ses immenses casernes, trente mille hommes aguerris, prêts à l'offensive, venus de tous les Etats confédérés ; cependant toute cette force et tout cet orgueil ont été dissipés, comme une vraie fumée, au vent de la défaite !

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